17 septembre 2008

Lettres d'Iwo Jima




Au cours de ces dernières années, je suis allé une dizaine de fois au Japon. J'ai toujours été frappé par le paradoxe de l'esprit de paix qui souffle dans ce pays alors qu'il fut responsable de tant de malheurs et de violences il y a 65 ans. Comment imaginer que mes amis de Tokyo, mes chers amis de Gifu puissent être les descendants d'une génération qui fut responsable des massacres de Nankin ?

La réponse est contenue dans une petite île de quelques kilomètres de long du nom d'Iwo Jima. Près de 20.000 soldats japonais y perdirent la vie ainsi que 7.000 américains. Mais confronté à la brutalité des chiffres, on ne saisit pas encore le secret qui fait d'Iwo Jima le coeur de cette énigme qu'est la folie meurtrière des hommes lancés dans la guerre totale. Le secret nous est révèlé par Clint Eastwood dans "Lettres d'Iwo Jima", film qui est sans doute le chef d'oeuvre le plus accompli de sa carrière cinématographique.

En fait, le réalisateur nous raconte à quel point tous ces soldats et leurs officiers ne pensaient qu'à la paix et étaient pétrifiés de peur à l'idée de mourir. Cela ne remet pas en cause leur patriotisme. Il se battent, pensent-ils, pour leur pays et pour l'Empereur et s'il faut mourir, il affronteront leur destin avec courage. Mais la peur est là, atténuée par un général profondément humain dont les élans sont dignes d'une tragédie grecque. Les personnages, comme les soldats de l'époque, sont jeunes, presque des enfants. Ils pensent à leur famille, à leur métier, à leurs amis qui, parfois, ironie du sort, sont américains.

La véritable tragédie du peuple japonais a été à l'époque de prendre pour argent comptant la propagande expansioniste de Tojo et de ne pas écouter les sages propos de l'Amiral Yamamoto avant Pearl Harbor : "la seule bataille digne d'être gagnée est celle que l'on n'a pas besoin de mener". Gagner la paix, tel était l'idéal des soldats, américains et japonais, d'Iwo Jima. Clint Eastwood nous montre à quel point cet idéal fut perverti. Le Japon historique nous montre que l'obéissance aveugle peut transformer l'ange en démon. Le démon était bien présent dans toute sa violence à Iwo Jima mais les Lettres que nous lit avec talent Clint Eastwood nous montrent qu'au coeur de cet enfer les hommes restent animés par le désir d'un monde meilleur. C'est un beau message pour notre monde et une parabole pour les générations futures : "aucune guerre ne mérite d'être gagnée ; notre impératif est, jour après jour, de gagner la paix". Merci Clint pour cette leçon d'humanité et merci à nos amis japonais d'être, avec lui, revenu sans complaisance sur ce moment tragique de leur Histoire pour mieux ancrer dans le coeur de leurs compatriotes ce qui fait aujourd'hui du Japon un pays fascinant et paisible !

13 juin 2008

Oui nous le pouvons !

Au moment où démarre une des campagnes présidentielles les plus importantes de l'Histoire des États-Unis, Ouest France, dans son édition du 30 mai dernier, a publié cet article sous ma signature : "Participant il y a quelques temps à un colloque organisé par la Fondation Franco-américaine sur la modernité transatlantique, j’ai eu une conversation avec le grand historien, spécialiste de l’Amérique du Nord, André Kaspi. Il me disait en substance : « Il est indispensable que les Français comprennent mieux ce vaste pays, qui n'a rien d'homogène et qui n'en est que plus passionnant ». La fin de la campagne primaire démocrate nous fournit l’occasion d’aller dans ce sens et montrer ainsi à nos compatriotes la modernité de la démocratie américaine. En juillet 2004, à l’occasion de la convention démocrate de Boston ayant abouti à l’investiture de John Kerry, il fut demandé à Barack Obama, un jeune politicien totalement inconnu à l’époque, de prononcer le « junior speech », discours par lequel il se fit remarquer en faisant l’éloge du rêve américain.

Alors que chez nous les deux candidats du second tour de la dernière élection présidentielle cumulaient, à eux deux, un demi siècle d’expérience politique, personne n’imaginait, en juillet 2004 aux Etats-Unis, le phénomène qu’allait incarner Barack Obama, simple élu au Sénat de l’état de l’Illinois (il ne fut élu au Sénat des Etats-Unis qu’en novembre 2004). Dans le camp démocrate, tout le monde imaginait, et dans le camp républicain tout le monde espérait, que 2008 verrait le retour des Clinton. Il est vrai qu’Hillary Clinton est l’incarnation du courage en politique qualité érigée comme indispensable par John Kennedy dans son remarquable ouvrage « Le Courage dans la Politique » (Prix Pulitzer 1957). Additionnés à son indéniable expérience, ce courage et cette ténacité remarquables, qui lui ont valu de partager avec son époux le surnom de « come-back Clinton », ne pouvaient pas lui faire manquer l’investiture démocrate. Mais c’est bien là que les Etats-Unis nous montrent la modernité de leur système politique en ce qu’il est le plus performant du monde pour faire émerger un leadership complètement neuf.

Le charisme incroyable de Barack Obama, son respect pour l’adversaire politique, son sens de l’intérêt général à contretemps des opinions du moment, correspondent à ce dont ce pays a profondément besoin à un moment où il fait face à des enjeux critiques pour l’Histoire de notre monde. Alors, pour reprendre les propos inspirés d’André Kaspi et plutôt que de voir les faiblesses de ce pays, réelles elles-aussi, considérons la campagne présidentielle qui démarre comme le témoignage des évolutions positives que le monde politique français pourrait intégrer. Sans vouloir aucunement se placer en donneur de leçons et sans désespérer de notre propre avenir reprenons pour nous français le slogan universel de Barack Obama : « Yes, we can ! »."